Cyberdépendance et addiction aux écrans dans le monde professionnel

Cyberdépendance et addiction aux écrans dans le monde professionnel

Introduction :

Les addictions comportementales n’ont rien de nouveau. Depuis des décennies, les professionnels de santé les reconnaissent comme des formes de dépendance à part entière, au même titre que les addictions aux substances. Ce n’est donc pas leur existence qui surprend aujourd’hui, mais l’évolution fulgurante des outils qui les alimentent et les changements profonds dans nos usages numériques quotidiens. Il fut un temps où l’écran de télévision représentait la principale fenêtre sur le monde : il informait, distrayait, rassemblait les familles autour de rendez-vous collectifs. Le cinéma, de son côté, offrait l’expérience d’un divertissement exceptionnel, ponctuel, limité dans l’espace et le temps. Ces écrans rythmaient nos vies mais restaient confinés à des usages bien délimités, souvent passifs.

Aujourd’hui, nous vivons entourés, immergés, parfois même engloutis dans une multitude d’écrans aux fonctions et aux finalités démultipliées.

Le smartphone, l’ordinateur portable, la tablette, la montre connectée, les casques de réalité virtuelle : ces outils ont envahi nos sphères professionnelle et personnelle, abolissant les frontières entre travail et loisir, entre information et distraction, entre présence physique et interaction virtuelle. Là où l’écran unique d’hier rassemblait et cadrait, les écrans multiples d’aujourd’hui sollicitent en permanence, fragmentent l’attention et proposent une disponibilité sans fin. Cette transformation ne relève pas seulement du progrès technologique ; elle implique un bouleversement de nos comportements, de nos repères et de nos besoins psychiques. Face à cette hyperconnexion, le risque de basculer vers un usage excessif ou compulsif des écrans grandit. Non parce que les individus manqueraient de volonté, mais parce que ces outils sont conçus pour capter, retenir, inciter à revenir. Et parce qu’ils comblent, parfois maladroitement, des besoins fondamentaux : lien social, reconnaissance, stimulation, échappatoire.

Dans le monde professionnel, cette dépendance numérique s’installe souvent insidieusement

Le télétravail, les messageries instantanées, les visioconférences permanentes, les notifications incessantes créent un environnement où l’attention est fragmentée, la disponibilité attendue permanente et la déconnexion devenue un acte volontaire, presque subversif.

Cet article propose d’explorer ces enjeux en profondeur

En examinant les outils, les motivations, les signes et les conséquences de la dépendance aux écrans dans le cadre professionnel, en particulier dans le contexte du télétravail. Il s’adresse aux services de santé au travail, aux responsables des ressources humaines, aux responsables Qualité Hygiène Sécurité et Environnement, pour les aider à comprendre, repérer et prévenir ce phénomène, non comme une dérive individuelle mais comme un enjeu collectif et organisationnel.

Et parce qu’aucun savoir n’est plus vivant que celui issu de l’expérience, cet éclairage sera porté comme l’ensemble des articles de Ker&Co par la voix d’un ancien addict, aujourd’hui rétabli et engagé comme formateur et préventeur en addictologie, pour montrer combien l’expérience vécue peut enrichir la prévention et l’accompagnement en milieu professionnel.

1. Définition des outils « écrans » et de leurs usages

J’ai choisi de ne traiter que l’aspect dit professionnel de ces outils du quotidien dont les usages personnels sont nombreux et variés. Il est parfois difficile de séparer un usage personnel d’un usage professionnel lorsqu’il s’agit d’un outil numérique. Les professeurs Benyamina et Karila parlent volontiers de « Doudou numérique » pour parler du smartphone qui aujourd’hui nous sert tout aussi bien d’outil de communication que d’assistant personnel dans notre vie de tous les jours.

Dans le langage courant, on parle souvent d’ « écran » pour évoquer l’ordinateur, la tablette ou le smartphone. Mais aujourd’hui, la famille des écrans s’est considérablement élargie :

Le téléphone (smartphone) :

hub de communication (appels, SMS, messagerie instantanée), outil d’organisation (agenda, to-do list), source d’information (réseaux sociaux, actualités), divertissement (jeux, vidéos) et désormais d’assistance professionnelle (applications de visioconférence, mails professionnels).
Addiction à la réalité virtuelle, Casque VR, dépendance aux écrans

Le casque de réalité virtuelle (RV) :

outils de formation immersive (sécurité sur chantier, apprentissage de gestes professionnels), de simulation (conduite de machines, robotique), mais aussi plateforme de socialisation (espaces virtuels de réunion) et, hors cadre professionnel, de divertissement (jeux vidéo).

Montre connéctée, addiction au écran, dépendance

La montre connectée :

prolongement du smartphone à son poignet : notifications, coaching sportif, suivi du sommeil, rappels de réunions ou de pauses.
dépendance aux écrans d'ordinateurs

L’ordinateur portable :

poste de travail mobile, point d’accès aux logiciels métiers, aux bases de données, aux documents partagés et aux plateformes collaboratives.

Les interfaces d’intelligence artificielle (IA)

agents conversationnels intégrés aux CRM, algorithmes d’aide à la décision, tableurs automatiques, correcteurs orthographiques et même assistants de rédaction — le tout présenté sur écran.
Derrière chaque écran se cachent des usages professionnels, personnels et parfois flous ; la tentation d’y recourir constamment pour gagner du temps ou rester « connecté » peut devenir insidieusement compulsive.
usage excessif des écrans - addictions - mode

2. Motivations à l’usage excessif des écrans

On pourrait croire que l’usage excessif des écrans est un simple effet de la modernité, un dérivé inévitable de la digitalisation du travail. Mais les études scientifiques montrent que ce comportement n’est ni fortuit ni anodin : il répond à des mécanismes psychiques et émotionnels profonds, souvent méconnus, parfois refoulés.
Derrière l’écran, il y a d’abord un besoin de gratification immédiate. Chaque fois qu’une notification surgit, que ce soit un mail, un message sur Teams ou un simple « like » sur LinkedIn, notre cerveau libère un petit pic de dopamine. Ce neurotransmetteur, impliqué dans les circuits de la récompense, alimente un cercle vicieux : plus je consulte mon écran, plus je suis récompensé, plus je ressens le besoin de consulter. Le problème ? Comme toute récompense, son effet s’estompe. Il faut alors augmenter la dose : plus de notifications, plus de temps passé, plus d’applications ouvertes. Une logique proche de l’accoutumance observée dans les addictions aux substances.

Mais l’écran ne sert pas seulement à obtenir du plaisir. Il est aussi un refuge. Beaucoup de salariés, en télétravail ou au bureau, utilisent l’écran comme un moyen d’évitement émotionnel. Un désaccord avec un collègue ? Une charge mentale trop lourde ? Un sentiment d’illégitimité ou d’épuisement ? Plutôt que d’affronter ces émotions inconfortables, on se réfugie dans le flot des emails, des actualités ou des réseaux sociaux professionnels. L’écran devient alors un cocon anesthésiant, un tampon entre soi et le réel.

À ce phénomène s’ajoute une dimension plus subtile : les besoins sociaux inassouvis. La Communication Non Violente (CNV), développée par Marshall Rosenberg, rappelle que tout comportement problématique exprime un besoin non satisfait. Or, nombre de nos interactions professionnelles sont marquées par l’urgence, la superficialité ou l’instrumentalisation. Certains salariés multiplient les échanges numériques pour compenser un manque de reconnaissance, un besoin d’appartenance, ou une quête de sens. Derrière l’usage excessif des messageries ou des visioconférences se cache parfois un cri muet : celui d’un collaborateur qui veut être vu, entendu, valorisé. Enfin, il existe des pressions organisationnelles implicites. Dans certaines entreprises, ne pas répondre immédiatement à un mail est perçu comme un manque d’engagement. La culture du « toujours disponible » pousse les salariés à rester connectés bien au-delà de leur temps de travail officiel. Ce phénomène est particulièrement aigu en télétravail, où l’absence physique se compense par une sur-présence numérique. Ainsi, les motivations à l’usage excessif des écrans sont plurielles, imbriquant des facteurs neurobiologiques, émotionnels, sociaux et culturels. Les comprendre est essentiel pour bâtir des stratégies de prévention efficaces.
« Je consulte mes mails sans y être invité ; c’est devenu comme une bouée de sauvetage : je me dis que je suis utile, indispensable… » — Témoignage d’un cadre en télétravail

3. Signes de la dépendance aux écrans au travail

Repérer une dépendance naissante aux écrans n’est pas toujours aisé, car les comportements concernés sont souvent valorisés dans le monde professionnel : réactivité, disponibilité, capacité à gérer plusieurs tâches. Pourtant, certains signes doivent alerter, car ils traduisent un glissement d’un usage fonctionnel à un usage compulsif.

Comportements observables au travail

Hyper-réactivité numérique :

Le salarié interrompt toute tâche en cours dès qu’une notification apparaît, même sans caractère urgent. Ce réflexe perturbe la concentration et favorise l’éparpillement cognitif.

Surconsommation d’applications inutiles :

Consultation répétée de sites d’actualité, de réseaux sociaux ou d’applications non directement liées aux missions professionnelles, sous couvert de « veille » ou de « repos cognitif ».

Présence physique mais absence psychique :

Un salarié peut rester de longues heures devant son poste sans réelle productivité, naviguant d’une fenêtre à l’autre sans finaliser ses dossiers.

Allongement non justifié des horaires :

Rester connecté tard le soir, sans obligation formelle, pour « surveiller les mails » ou « préparer la journée du lendemain », même quand cela n’est pas requis.

Multiplication des outils :

Avoir simultanément ouverts un ordinateur portable, un smartphone, une tablette et une montre connectée, jonglant entre les alertes de chaque support sans nécessité opérationnelle.

Impact sur les relations interpersonnelles

Isolement progressif :

Le salarié s’éloigne des moments collectifs (pause-café, déjeuner d’équipe) pour rester connecté à ses outils numériques.

Baisse de qualité de l’écoute :

en réunion, même en visioconférence, l’attention est fragmentée, les réponses sont mécaniques, les regards absents.

Irritabilité face aux interruptions « humaines » :

Toute sollicitation directe (collègue qui vient poser une question, appel téléphonique) est perçue comme une nuisance perturbant l’univers numérique.

Incapacité à différer une réponse numérique :

consulter et répondre aux notifications en pleine conversation ou interaction physique, donnant priorité à l’écran sur l’échange réel.

Glissement progressif vers des interactions purement numériques :

Privilégier les emails ou les messages instantanés, même pour des sujets qui pourraient être traités plus efficacement en face-à-face.
Ces signes doivent être interprétés non comme des fautes individuelles, mais comme des indicateurs de souffrance potentielle, nécessitant écoute, accompagnement et, le cas échéant, intervention préventive.

4. Conséquences de la dépendance aux écrans

La dépendance aux écrans n’est pas qu’une question de productivité ou d’organisation : elle impacte profondément la santé mentale, physique et relationnelle des individus et de leur environnement professionnel.

Pour la personne concernée

Au départ, l’usage accru des écrans peut sembler anodin, voire bénéfique : meilleur accès à l’information, gain de temps, sentiment de maîtrise. Mais au fil du temps, un processus d’escalade s’installe.
Dans la phase d’usage régulier, l’écran devient l’outil central du travail et du loisir. On le consulte par habitude, par automatisme, sans en mesurer l’impact.
Puis vient la phase de dépendance : l’absence d’écran génère de l’angoisse, un sentiment de vide. Certains collaborateurs en viennent à vérifier leur smartphone en pleine nuit, à se lever plus tôt pour « traiter les urgences numériques » avant même de se laver ou de déjeuner.
Enfin, la phase de compulsion se caractérise par une perte de contrôle : l’individu ne parvient plus à limiter son temps d’écran, malgré des conséquences négatives déjà manifestes (fatigue chronique, douleurs cervicales, insomnie, conflits familiaux). Pire : il minimise, justifie ou nie la gravité de la situation. Cette phase de déni va se retrouver dans toutes les conduites addictives et a fait l’objet d’un article précédent.

Pour l’entourage professionnel

D’abord, les collègues constatent un affaiblissement de la coopération. Un salarié trop absorbé par ses écrans devient moins disponible, moins à l’écoute, moins réactif aux signaux faibles d’une équipe.
Ensuite, la surcharge cognitive qu’il s’impose peut dégrader la qualité de son travail, générant erreurs, oublis, retards, qu’il tente de compenser par encore plus d’heures passées en ligne. Il y a une dérive vers l’addiction au travail (workaholisme).
Sur le plan managérial, ces comportements peuvent alimenter un climat de tension ou d’incompréhension : les autres perçoivent ce salarié comme distant, désengagé ou inefficace, alors qu’il est en réalité prisonnier d’un engrenage.
Enfin, dans certains secteurs, la dépendance aux écrans peut devenir un facteur de risque pour la sécurité. Dans les métiers à responsabilité technique, où l’attention visuelle et la vigilance sont primordiales, la distraction numérique augmente la probabilité d’erreurs ou d’accidents.

Droit déconnexion - travail - addiction aux écrans

5. La déconnexion : un droit en entreprise qui se construit avec les salariés

Face à ces constats, le législateur a inscrit le droit à la déconnexion dans la loi française depuis 2016 (la loi « El Khomri » article L.2242-8 du Code du travail). Ce droit vise à garantir aux salariés le respect de leur temps de repos et de leur vie privée, en limitant les sollicitations numériques hors temps de travail.

La co-construction d’une politique de déconnexion avec les salariés

Le droit à la déconnexion, ne peut être une simple clause ajoutée au règlement intérieur ou à une charte RH. Il suppose un véritable dialogue social et une co-construction avec les salariés, car les usages numériques sont profondément ancrés dans les réalités quotidiennes de chaque métier, de chaque équipe, de chaque individu. Imposer des règles descendantes risque de créer de la frustration, du contournement, ou un sentiment d’infantilisation. À l’inverse, impliquer les salariés dans l’élaboration des dispositifs de déconnexion permet de prendre en compte la diversité des situations : contraintes des clients, pics d’activité, urgences réelles ou perçues, pratiques collectives, habitudes informelles.

La co-construction peut passer par :

Des ateliers participatifs pour identifier les situations problématiques, les moments clés où la surcharge numérique est la plus forte, les attentes et besoins de chaque service.

Des enquêtes internes pour recueillir les suggestions concrètes des salariés sur les horaires de disponibilité, les modes de communication, les alertes et notifications.

La création de référents ou d’ambassadeurs numériques, chargés d’animer la réflexion collective, de relayer les bonnes pratiques et de veiller à l’application des règles décidées ensemble.

Une évaluation continue des dispositifs, avec des bilans réguliers, des ajustements en fonction des retours du terrain, et des indicateurs partagés.

En incluant les salariés dans la définition des règles de déconnexion, l’entreprise ne protège pas seulement leur santé : elle valorise leur expertise d’usage, leur donne les moyens d’agir sur leur environnement de travail et renforce leur sentiment de reconnaissance et d’appartenance.

Obligations pour l’employeur

L’employeur a l’obligation de négocier les modalités de la déconnexion dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. Ces modalités doivent être formalisées dans une charte ou un accord collectif. Il doit également veiller à ne pas imposer une culture du « toujours disponible » en valorisant les pratiques respectueuses des horaires, en évitant les emails ou les appels hors des plages de travail, et en formant les managers à cette vigilance.

Des outils technologiques existent pour encadrer la déconnexion, comme :

La programmation différée des emails (la conception du message est du ressort du salarié).
Les blocages automatiques de serveurs après un certain horaire.
Les alertes de dépassement de temps d’écran.

Cette « déconnexion numérique » doit être encadrée par une note de service ou une charte précisant aux salariés les attendus en termes de déconnexion. Ces mesures doivent figurer au sein du document unique de l’entreprise, en particulier pour les salariés en télétravail.

Obligations pour le salarié

Le salarié, de son côté, a la responsabilité de respecter les règles fixées et de s’autoréguler. Cela suppose de poser des limites à l’usage de son téléphone personnel durant les heures de travail, mais aussi de ne pas entretenir lui-même une hyperconnexion qui aliène son équilibre personnel.

Cela peut impliquer, par exemple :

De désactiver les notifications professionnelles sur son téléphone privé,
De fermer les applications pros en dehors des heures de travail,
De ne pas répondre spontanément aux sollicitations non urgentes.
Cette responsabilité est d’autant plus importante en télétravail, où la frontière entre vie pro et perso est plus floue. Attention cependant, pour avoir été dans mon parcours professionnel directeur commercial international, il est important de pouvoir gérer vis-à-vis de ses contacts à l’étranger une disponibilité en fonction des horaires de l’entreprise et non de ceux du client… Il m’est arrivé à une époque de répondre sur des sollicitations 7 jours sur 7 avec une amplitude horaire que la décence m’interdit de préciser…

Enfin, les employeurs peuvent mettre en place des moyens techniques pour limiter l’usage d’internet non professionnel : filtrage de sites, restriction des accès aux réseaux sociaux ou aux plateformes de streaming, surveillance des flux réseaux. Ces mesures doivent toutefois respecter les droits individuels et la protection des données personnelles Dans mon expérience de formateur, j’ai vu des entreprises installer des « firewalls » pour les horaires : impossible d’accéder aux applications pros entre 20 h et 7 h du matin, sauf via une procédure de dérogation validée par un manager.

Le risque du Télétravail et l’isolement social : l’écran comme interface et comme mur.

Le développement massif du télétravail a été présenté comme un progrès en matière de flexibilité, d’autonomie et de qualité de vie. Mais il a aussi accentué des risques psycho-sociaux souvent invisibles, dont l’un des plus marquants est l’isolement social. En travaillant derrière un écran, on perd ces moments d’interaction informelle, ces conversations de couloir, ces regards complices ou ces gestes d’encouragement. La relation professionnelle devient médiée, filtrée, réduite à des images et des mots sur un écran. Même les réunions, multipliées à l’excès en visioconférence, ne compensent pas ce manque : elles enchaînent les échanges transactionnels sans recréer le tissu relationnel du collectif de travail.

Or, cet isolement est un facteur majeur d’accroissement de l’usage compulsif des écrans. Privé de contacts réels, l’individu cherche dans l’outil numérique une présence, un lien, un substitut relationnel, quitte à multiplier les connexions inutiles, à dériver vers des usages non professionnels (réseaux sociaux, jeux en ligne) ou à s’enfermer dans une hyperconnexion anxieuse, de peur de « manquer » une information ou une sollicitation.

La prévention doit donc inclure des actions contre l’isolement numérique, en encourageant les moments d’échange hors écran : appels téléphoniques plutôt que mails, journées en présentiel, déjeuners d’équipe, cafés virtuels informels… et surtout en valorisant la qualité du lien sur la quantité de communication.

Une attention particulière doit être portée aux salariés isolés géographiquement, nouvellement embauchés, ou en situation de fragilité psychique, pour qui l’écran devient parfois un mur infranchissable plutôt qu’un pont vers l’autre

6. Outils d’évaluation des risques liés à la dépendance numérique

Avant d’agir, il faut pouvoir mesurer l’ampleur et les caractéristiques du phénomène dans l’entreprise. L’évaluation des risques liés à la dépendance aux écrans peut s’appuyer sur plusieurs outils, adaptés au contexte professionnel :

Des questionnaires anonymes intégrant des items sur le temps passé devant les écrans, la fréquence des interruptions numériques, le ressenti de sursollicitassions, la difficulté à décrocher après les horaires de travail, l’impact sur le sommeil et la concentration. Des échelles validées, comme le Internet Addiction Test (IAT), disponible sur le portail Addict AIDE https://www.addictaide.fr/parcours/internet/

Des entretiens qualitatifs auprès de volontaires ou de groupes ciblés (managers, télétravailleurs, services les plus exposés) pour recueillir des témoignages, identifier les situations à risque, comprendre les usages réels et les stratégies individuelles.

Des indicateurs organisationnels : nombre moyen de mails ou de messages échangés hors horaires contractuels, nombre de réunions virtuelles hebdomadaires, taux de participation aux outils collaboratifs numériques, etc.

L’intégration du sujet dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), avec une analyse spécifique des risques psycho-sociaux liés à l’hyperconnexion, en lien avec les services de santé au travail et le CSE.• L’intégration du sujet dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), avec une analyse spécifique des risques psycho-sociaux liés à l’hyperconnexion, en lien avec les services de santé au travail et le CSE.

Ces outils doivent être mobilisés non comme des instruments de contrôle individuel, mais comme des leviers de compréhension collective, pour nourrir un diagnostic partagé et orienter des actions de prévention adaptées

Conseil lutter contre l'addiction au écrans

7. Quelques conseils pour limiter l’usage excessif des écrans en tenant compte de la dimension intergénérationnelle

La question de la dépendance aux écrans dans le monde professionnel ne peut être envisagée de manière uniforme. Les pratiques numériques varient fortement selon les générations, non seulement en termes de maîtrise technique, mais aussi de rapport symbolique et affectif à l’outil. Les générations dites « digital natives », nées et élevées dans un environnement numérique, ont souvent une aisance d’utilisation que l’on pourrait confondre avec un contrôle ou une autonomie. Pourtant, cette familiarité masque parfois une vulnérabilité accrue aux mécanismes de l’addiction comportementale, car ces publics ont été exposés très jeunes aux dynamiques de gratification immédiate, de notifications constantes, de cycles de récompense conçus par les interfaces numériques.

À l’inverse, les générations plus anciennes, entrées dans le numérique par nécessité professionnelle plutôt que par socialisation initiale, peuvent développer un usage excessif par injonction de performance ou par peur d’être marginalisées technologiquement. Leur dépendance ne se traduit pas toujours par des usages ludiques ou sociaux, mais par une hyperdisponibilité professionnelle, un surinvestissement dans les mails, les outils collaboratifs, la réponse rapide – comme une manière de prouver leur légitimité dans un environnement digitalisé.

La prévention doit donc tenir compte de ces nuances générationnelles, non en opposant les groupes d’âge, mais en adaptant les messages et les actions : il ne s’agit pas d’éduquer les jeunes à la technique, ni les plus âgés à la culture numérique, mais d’accompagner chacun dans la construction d’un rapport sain et critique aux écrans, en fonction de ses usages, de ses besoins et de ses fragilités propres.

Dans une organisation, cette prise en compte peut passer par des ateliers intergénérationnels, des espaces d’échange d’expériences, ou encore des binômes de mentorat croisés : une manière de DÉPASSER LES CLICHÉS GÉNÉRATIONNELS ET DE RECONSTRUIRE UN LIEN HUMAIN AU-DELÀ DE L’ÉCRAN.

1. Structurer sa journée

planifier des plages sans écran (marche, pause déjeuner loin du bureau) pour réapprendre à décrocher.

2. Utiliser la règle des deux minutes

si une notification peut attendre plus de deux minutes, la laisser pour la fin de la plage de travail

3. Activer les filtres de notification

ne garder que les alertes réellement urgentes (appels manqués, messages d’astreinte).

4. Adopter la méthode Pomodoro

Planifier vos moments de connexion numérique… Se fixer un temps de 30 ‘au maximum, deux à trois fois par jour pour répondre aux sollicitations urgentes.

5. Garder son smartphone hors de portée visuelle

pendant les réunions ou les tâches à forte concentration.

6. Fixer un horaire de « coupure numérique »

chaque jour (par exemple 19 h) et le respecter.

7. Mettre en place un groupe de pairs

pour se soutenir mutuellement dans la déconnexion (binômes de responsabilisation).

8. Pratiquer une activité physique

régulière (sport collectif, yoga, marche rapide) pour rééquilibrer la sécrétion de neurotransmetteurs.

9. Sensibiliser les managers

à repérer les signes de surengagement numérique et à valoriser la déconnexion (récompenses, reconnaissance).

Conclusion : l’expérience de l’addiction au service de la prévention

Dans un monde professionnel où la connexion est devenue la norme, où l’écran incarne à la fois l’outil de travail, le moyen de communication et parfois l’unique fenêtre sur le collectif, la dépendance numérique n’est plus un simple risque marginal. Elle est un enjeu de santé publique au travail, un phénomène insidieux qui touche toutes les strates de l’organisation, des opérateurs aux cadres dirigeants.
Cet article a montré que l’usage excessif des écrans ne relève pas seulement d’une mauvaise gestion du temps ou d’un manque de volonté individuelle. Il est le symptôme de mécanismes psychiques profonds, de besoins sociaux non assouvis, de contraintes organisationnelles parfois invisibles. La dépendance numérique n’est pas un caprice ni une faiblesse ; c’est une réponse, souvent inconsciente, à un environnement saturé de sollicitations et de paradoxes.
Dans ce contexte, l’approche préventive ne peut se limiter à des consignes techniques ou des chartes formelles. Elle nécessite une compréhension fine des comportements addictifs, de leurs déclencheurs et de leurs conséquences, ainsi qu’une capacité à repérer les signaux faibles avant qu’ils ne deviennent des problèmes majeurs.
C’est là qu’intervient l’apport unique d’un ancien addict devenu formateur et préventeur en addictologie. Parce qu’il a lui-même traversé les processus de dépendance, parce qu’il a ressenti dans son corps et dans son esprit les mécanismes d’accoutumance, de perte de contrôle, de déni et de compulsion, il peut porter un témoignage incarné et authentique, qui résonne autrement qu’un simple discours théorique.
Ce vécu confère à l’intervention une dimension profondément humaine, capable de susciter l’empathie, de briser les tabous, d’ouvrir le dialogue là où le jugement ou la peur du stigmate freinent la parole. Dans une entreprise, cela peut faire la différence entre un salarié qui se terre dans le silence et un salarié qui ose demander de l’aide.
Au-delà de l’accompagnement individuel, l’ancien addict devenu formateur est aussi un passeur de connaissances et d’outils, capable de relier les enjeux individuels et collectifs, de traduire les données scientifiques en pratiques concrètes, de former les managers à repérer les signes de glissement, à intervenir de façon précoce et bienveillante. En somme, la lutte contre la dépendance aux écrans dans le monde professionnel ne peut être qu’une démarche globale, transversale et humaine, articulant la prévention, la régulation et l’éducation. Elle implique autant le cadre législatif que la culture d’entreprise, autant les outils techniques que les compétences relationnelles.
Dans ce combat, l’expérience du rétablissement devient une expertise précieuse, non seulement pour sensibiliser, mais aussi pour construire des environnements de travail plus sains, plus respectueux des rythmes humains, plus conscients des fragilités invisibles. Car au fond, prévenir la dépendance aux écrans, c’est aussi réinterroger notre rapport au travail, au temps, à la performance, et à ce qui nous relie aux autres et à nous-mêmes.

Nous abordons cette thématique avec la rigueur issue de nos expériences personnelles ce qui renforce nos actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement.

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