L’amour comme dépendance :
regards croisés sur l’addiction affective et sexuelle
en milieu professionnel

Prologue d’un naufragé sauvé par la connaissance
L'âme amoureuse : les leçons oubliées des anciens
Michel Reynaud, psychiatre et pionnier de l’addictologie française, a su mettre des mots clairs sur ces souffrances anciennes en langage contemporain. Dans L’amour est une drogue douce… en général (2010), il écrit :
« Le besoin d’amour peut devenir si impérieux qu’il en vient à ressembler à une soif inextinguible. Ce n’est plus alors un sentiment, mais un besoin primaire, comme respirer ou manger. »
Et plus loin :
« L’addict à l’amour choisit inconsciemment des partenaires indisponibles, violents ou fuyants. C’est une répétition qui rassure par sa douleur connue. »
Cette dépendance ne se limite pas au cadre sentimental : elle s’insinue dans le monde du travail, où l’approbation du supérieur hiérarchique devient le levier central de la valeur personnelle. Dans ce contexte, la dépendance affective peut se définir comme une quête incessante d’approbation, un effort continu pour modeler ses comportements, attitudes, voire ses croyances, selon ce que l’on suppose être attendu par autrui. Elle s’incarne dans cette formule simple mais puissante :
Plus en amont encore, l’enfant soumis à des injonctions éducatives rigides – comme celles identifiées par Taibi Kahler dans le « Process Communication Model » – développe des scripts comportementaux contraignants. Ces » messages contraignants » : « Sois parfait », « Sois fort », « Fais plaisir », « Fais des efforts », « Dépêche-toi », deviennent les filtres à travers lesquels il interprète le monde. Bien que peu d’études scientifiques aient directement relié ces messages à la dépendance affective, leurs effets sont largement décrits dans la littérature sur les styles d’attachement et les troubles de la régulation émotionnelle
Dans On ne pense qu’à ça (2014), Michel Reynaud et Laurent Karila soulignent :
« Les dépendances affectives prennent souvent racine dans des carences précoces. L’enfant mal sécurisé devient un adulte prêt à toutes les compromissions pour ne pas être abandonné. »
Ces éléments cliniques et psychologiques permettent de situer la dépendance affective non plus comme une simple souffrance amoureuse, mais comme un trouble complexe de l’identité relationnelle. Un trouble qui, dans les environnements professionnels, peut engendrer des comportements de suradaptation, d’épuisement, voire de burn-out silencieux.
Le désir compulsif : comprendre l’addiction sexuelle
Contrairement à la dépendance affective, l’addiction sexuelle ne repose pas sur le besoin d’être aimé ou validé, mais sur une quête répétée de gratification immédiate. C’est une compulsion qui, loin d’être réductible à un appétit élevé, devient aliénation lorsque le sujet perd la liberté de différer, de dire non, ou d’agir autrement. Michel Reynaud décrit ainsi ces comportements :
« Le sexe et l’amour sont des marchés d’échange narcissiques : on donne pour être reconnu, désiré, regardé. Quand ce besoin devient impérieux, il enferme. »
L’addiction sexuelle peut prendre de nombreuses formes : consommation compulsive de pornographie, usage frénétique d’applications de rencontre, recours répété à la prostitution ou à la masturbation, sexualité à risque, comportements intrusifs sur le lieu de travail. La frontière entre vie intime et sphère professionnelle devient alors poreuse, créant des risques éthiques, relationnels, juridiques, et bien sûr personnels.
Plusieurs études publiées au cours de la dernière décennie, notamment dans Journal of Behavioral Addictions ou Addictive Behaviors Reports, montrent que l’addiction sexuelle touche 3 à 6 % de la population adulte dans les pays occidentaux, avec une prévalence plus élevée chez les hommes. Ce trouble, longtemps marginalisé, est désormais reconnu comme relevant du champ de l’addictologie comportementale.
Les impacts professionnels : une spirale silencieuse
L’addiction sexuelle, quant à elle, perturbe les dynamiques professionnelles différemment : par l’envahissement de la sphère professionnelle par des pulsions non maîtrisées. On y retrouve des comportements à risque comme la consultation de contenus inappropriés sur le lieu de travail, des échanges ambigus entre collègues ou une utilisation détournée des moyens professionnels à des fins personnelles. Le sujet peut devenir source de tensions, voire de contentieux disciplinaires.
Dans les deux cas, l’addiction isole, fatigue, marginalise, jusqu’à provoquer ruptures et désengagement.
Prévention : construire un cadre éthique et bienveillant
Pour prévenir ces mécanismes, l’entreprise doit s’engager dans une culture de la régulation émotionnelle et de l’écoute. Cela passe par la formation des managers à la reconnaissance des signaux faibles – anxiété chronique, perfectionnisme, besoin constant de validation – et à la mise en place de relais psychologiques accessibles et discrets.
Des campagnes de sensibilisation en entreprise sur les dépendances affectives et sexuelles, intégrées dans les politiques QVCT (Qualité de Vie et Conditions de Travail), permettent aussi de lever les tabous. L’accompagnement des RH, des services de santé au travail, et des référents harcèlement est crucial.
Des formations à la communication non violente et à la gestion des émotions afin de favoriser la compréhension du message que véhicule chacune de nos émotions.
Le parcours de soin : cheminer vers soi
Sortir d’une dépendance affective ou sexuelle nécessite parfois un accompagnement pluridisciplinaire. La psychothérapie, et en particulier les approches cognitivo-comportementales (TCC), les thérapies d’attachement ou les thérapies de schémas, ont démontré leur efficacité. Dans certains cas, un accompagnement médical est requis pour stabiliser l’anxiété ou traiter une comorbidité (dépression, troubles de l’humeur).
Les groupes de parole comme les DASA (Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes) offrent également un espace de soutien non jugeant et structurant, souvent complémentaire au travail thérapeutique.
Enfin, dans les cas les plus sévères, une prise en charge en centre spécialisé en addictologie peut s’avérer nécessaire.
En conclusion : retrouver sa boussole intérieure
Ces compétences ne se décrètent pas, elles se cultivent. En accompagnant leurs collaborateurs sur ce chemin, les entreprises deviennent plus humaines. Et, peut-être, plus justes.
J’écris aujourd’hui non plus comme une victime mais comme un préventeur éclairé. Ce que j’ai appris dans la douleur, je le transmets dans l’espérance. La dépendance n’est pas une fatalité. Elle est l’envers du besoin d’aimer, mal orienté. Le rétablissement est un art lent, mais royal. Il consiste à se réapproprier l’amour de soi pour mieux aimer l’autre – librement, lucidement, humainement.
Nous abordons cette thématique avec la rigueur issue de nos expériences personnelles ce qui renforce nos actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement.
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