Polyaddiction : quand les dépendances s’entremêlent
Transfert d’addiction : du tabac à la cocaïne en passant par l’alcool et les médicaments
Introduction
Risques psychosociaux et relations dégradées :
facteurs aggravants
Comme le rappelle la MILDECA, ce ne sont pas « que des pratiques isolées et individuelles » : les addictions au travail sont un fait social dont « certaines formes d’organisation et de relations de travail » sont les racines. En somme, affaiblir les liens sociaux et l’estime de soi au travail accroît le risque que les comportements addictifs émergent.
Poly consommations en milieu professionnel
En synthèse, les salariés mélangent souvent différentes conduites addictives pour s’adapter à leur rythme de travail ou à leur état de stress. Cela peut aller jusqu’à consommer alcool + tabac + cocaïne dans des périodes de surmenage, et ajouter du cannabis ou des anxiolytiques pour réguler l’angoisse du lendemain. Ces formules de consommation multiples rendent la prévention complexe : chaque comportement est potentiellement amplifié par l’autre. De ce fait la personne est sous effets constants de substances et perd peu à peu les liens avec la réalité qui l’entoure. La diminution de l’effet d’un produit va engendrer l’augmentation des volumes consommés puis pour échapper à l’absence d’effet va conduire à la consommation d’un autre produit.
Histoire de Roger : d’une dépendance à l’autre
Pour illustrer ce parcours, voici l’histoire fictive de Roger
Roger est un personnage qui vient illustrer mes ateliers et mes formations tantôt seul tantôt avec sa collègue Irène… Voici son histoire : « Mon histoire ? Elle a commencé très tôt… Dès le collège, les premières cigarettes et les premiers verres ont fait irruption dans ma vie. Comme beaucoup d’élèves de 6ème, j’ai goûté à l’alcool à 12 ans lors d’un anniversaire d’un ami, un plus grand que moi qui devait être en 4ème. L’odeur de la bière m’a grisé. Peu de temps après, un autre ami m’en a proposé alors j’ai tiré sur ma première cigarette. Je n’ai pas compris tout de suite qu’il cherchait juste une personne plus innocente pour valider son propre comportement, moi je croyais que c’était un signe d’acceptation dans sa bande… Ces sensations de chaleur immédiate m’ont marqué. Au lycée, l’alcool est devenu une routine du weekend – j’étais alors un parmi les autres élèves de terminale ayant déjà expérimenté cette substance. À 18 ans, je fumais un paquet de cigarettes par jour pour « me détendre après les cours » ».
Alcool et Tabac
« Les années passant, ma tolérance a augmenté. Je buvais toujours davantage, et à 22 ans j’avais l’alcool pour compagnon quasi quotidien. Mon corps s’y habituait : je m’en rendais compte quand j’avalais l’équivalent d’une vingtaine de verres d’alcool fort en soirée sans flancher – du jamais vu dans mon entourage. Je n’étais pas le seul mais à ce jeu j’étais le plus fort L’étude Constances (2010) signalait déjà qu’environ 22 % des hommes ouvriers ou employés avaient un usage d’alcool à risque. De la même façon, mon tabagisme avait pris de l’ampleur : Depuis mes premières cigarettes, j’étais accro, fumant mon paquet et demi par jour sans m’en apercevoir. Je sais aujourd’hui que ce chemin était pavé de fumée et de buée alcoolisée – d’autant plus que, l’alcool et le tabac sont l’association la plus fréquente en général. Dans l’effervescence des soirées étudiantes et plus tard en boîte, j’ai aussi mélangé mes gorgées avec de la fumée de joint ou quelques cachets pour prolonger les soirées, réalisant trop tard à quel point la dépendance s’était installée. »
Alcool, Tabac et Cannabis
« Dans ma trentaine, l’ennui et la pression au travail me poussaient vers d’autres substances. C’est alors que le cannabis a fait irruption. Sous prétexte de me « détendre » après une semaine de surmenage, je me mettais à rouler des joints presque tous les vendredis soir. Je n’inventais rien : selon l’enquête ESCAPAD, 93,6 % des usagers de cannabis fument un joint souvent mélangé au tabac lors de leur dernière consommation. Comme la majorité des jeunes, je mélangeais donc la beuh au tabac, renforçant en moi cette double addiction. Je fumais plusieurs fois par semaine, et l’herbe – jointe à mon alcool – aidait à oublier mes tensions. Je suis passé du statut d’expérimentateur au consommateur régulier, un chemin classique pour les 31,2 % des lycéens qui ont expérimenté le cannabis en terminale. L’effet était d’abord euphorisant, comme pour tous les usagers pense-t-on, mais il y avait aussi ce cocktail dangereux avec l’alcool ou d’autres produits inconnus… : après ces soirées « relax », je m’effondrais de fatigue. Cette boucle infernale – alcool le weekend et cannabis pour atténuer la peur du lendemain – était un exemple de poly consommation classique.
Alcool, Tabac, Cannabis et Cocaïne
« Travaillant beaucoup, je cherchais toujours plus d’énergie et de confiance en moi. C’est pourquoi j’ai tenté la cocaïne. D’abord occasionnellement lors de fêtes, très vite j’ai accroché à cette montée de puissance. L’adrénaline brute de la cocaïne me semblait le remède parfait contre la fatigue accumulée par l’alcool et le cannabis. Dans mon cas, l’association alcool-cocaïne m’a souvent « boosté » pour travailler la journée après des nuits blanches de fêtes qui s’accumulaient. C’était une fausse bonne idée – j’en étais conscient –, car cette combinaison est connue pour être particulièrement nocive. Mon foie, je l’ai appris plus tard, produisait du coca éthylène une substance due à une consommation des deux substances. Mélanger plusieurs substances (ici stimulant et dépresseurs) fait que leurs effets se surajoutent et surchargent l’organisme. Moralité pour moi : je devenais incontrôlable, à la fois euphoriques et irritable. À ce stade, mon médecin du travail a commencé à s’inquiéter. Il m’a diagnostiqué un trouble anxio-dépressif masqué par cette spirale de substances.
Alcool, Tabac, Cannabis, Cocaïne et Anxiolytiques
« Finalement, à force d’excès, mon corps m’a fait défaut. Mon médecin m’a prescrit des benzodiazépines pour calmer mes angoisses nocturnes et mes insomnies. C’était une délivrance immédiate, et j’en suis rapidement devenu dépendant aussi. En parallèle, d’autres collègues sous pression prennent eux aussi des anxiolytiques – d’après l’INRS, certains travailleurs recourent aux psychotropes ‘pour compenser une souffrance psychique ou physique’ et d’autres s’en servent comme ‘dopant’ pour rester productifs. J’étais dans ce lot : debout la nuit à réviser mes dossiers, je m’acharnais sur ces cachets pour tenir le coup. La pilule pseudo-miracle me maintenait “enthousiaste, fiable et productif” mais à quel prix… Au fil du temps, j’ai perdu tout contrôle : je cumule les substances pour gérer chaque facette de mon malaise (stress, détresse, désir de performance). Ce qui avait commencé par un joint gentillet avec des potes a abouti à ce cocktail infernal.
Fin de l’histoire… ou pas ?
Roger à finit par entendre les personnes qui lui parlaient non pas de ses consommations mais des conséquences de celles-ci. Il a bénéficié d’un arrêt maladie assez long pour assurer un sevrage et suivre en même temps qu’une reprise de travail progressive et aménagée une psychothérapie. Il va bien, a reconstruit son entourage personnel, et pour rien au monde ne changerai d’entreprise qui a su l’amener vers sa nouvelle vie. Il est redevenu très performant et son expérience adossée à une motivation retrouvée lui permets de retrouver l’année prochaine un poste d’encadrement technique dans son entreprise…
Sous les addictions : comportements révélateurs d’un mal-être
Richesse et jeux d’argent :
Performance et bigorexie/addiction sexuelle :
Reconnaissance et dépendance affective :
Au-delà des formes que peuvent prendre la dépendance et l’addiction, des besoins d’effets ou des manques qui habitent chacun de nous, nous irons rechercher dans un prochain article les facteurs de risques car si beaucoup de personnes consomment la perte de contrôle, l’impossibilité de se maitriser accompagnée d’un syndrome de sevrage dans cette activité devenue compulsion qui engendre des conséquences négatives ne touche qu’une partie des personnes.
Prévenir pour enrayer le phénomène
La prévention est le remède ultime contre cette cascade de dépendances. Visuellement déjà, la sensibilisation joue un grand rôle : par exemple, en complément à l’affichage réglementaire, un poster comme celui proposé par l’INRS « Alcool et travail : un mélange dangereux » interpelle immédiatement le salarié et le fait réfléchir au préalable à sa consommation. Dans mon travail de formateur, je fais précisément cela : je montre ces messages simples pour faire prendre conscience que l’alcool au boulot n’est pas anodin. Au-delà des visuels, la stratégie de prévention en entreprise est multiple. Le premier niveau est bien entendu d’intégrer le risque addictif dans le Document Unique d’Évaluation des Risques (DUERP) de l’entreprise. A partir du moment où le risque est identifié, alors on peut appliquer les principes de prévention des risques dont l’inscription de mesures au Règlement Intérieur. Cette démarche fera l’objet de discussions avec les membres du CSE afin d’en expliquer les objectifs. Parmi les mesures de prévention à inscrire figurent la formation des managers et du personnel de santé au travail, la mise en place de tests d’alcoolémie ou de dépistages ciblés, et la réduction de la disponibilité des produits (politique antitabac stricte, alcool interdit sur le lieu de travail, etc.). Puis viendront les mesure pratiques de sensibilisation avec des actions collectives régulières des parcours d’intégration incluant les risques (ateliers, accords d’entreprise) et la création d’un espace de parole et d’accompagnement vers le soin afin de ne pas uniquement mettre en place une seule politique basée sur la seule sanction individuelle.
En pratique, il s’agit aussi de repérer le mal-être en amont : amélioration des conditions de travail pour diminuer les RPS, entretien régulier avec la santé au travail, soutien psychologique accessible, etc. Une enquête menée en 2020 en période de confinement a montré que 31 % des salariés se sentaient isolés, ce qui avait déjà fait augmenter leur consommation de tabac et de psychotropes. Cela illustre à quel point la prévention passe aussi par le maintien des liens sociaux au travail (télétravail accompagné, vie de bureau épanouie, gestion de charge), car combattre l’isolement, c’est éviter qu’il ne se transforme en dépendance. Les programmes de prévention en entreprise que je mets en place préconisent de mobiliser différentes ressources complémentaires sur un temps long : médecins du travail formés à la problématique addictive, comités sociaux et économiques impliqués, éventuelle présence de mutuelles sensibilisées, etc.
Conclusion
J’en appelle à la responsabilité collective et individuelle. Chaque cas comme celui de Roger montre que le transfert d’addiction n’est pas un phénomène irréversible. Au contraire, la prévention et le soutien peuvent rompre le cercle vicieux. Comme formateur, je partage ces données récentes et ces histoires pour qu’un DRH ou un responsable QHSE comprenne : l’addiction au travail est un indicateur de souffrance qu’il faut traiter avec autant d’attention qu’un accident physique. Une politique active – information, écoute, dépistage, remédiation psychosociale – est indispensable pour enrayer ce phénomène. La sécurité au travail ne se limite pas aux machines : elle inclut la qualité de l’environnement psychosocial et la prise en compte des conduites addictives comme risques professionnels à part entière.
Nous abordons cette thématique avec la rigueur issue de nos expériences personnelles ce qui renforce nos actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement.
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