Les Compétences psychosociales

Un outil de prévention des conduites addictives au travail

Introduction

Dans le monde professionnel, les conduites addictives représentent un enjeu majeur de santé et de sécurité. L’INRS souligne que l’alcool, le tabac, les psychotropes et le cannabis sont les substances psychoactives les plus consommées chez les salariés, avec des consommations présentes dans tous les secteurs et toutes catégories professionnelles même à faible dose, ces pratiques accroissent les risques d’accident et de dommages physiques ou mentaux : par exemple, un consommateur modéré d’alcool présente deux fois plus de risques d’accident du travail grave que la moyenne. Par ailleurs, certains facteurs professionnels comme les horaires décalés, un management inapproprié ou une forme de pression lors d’événements de l’entreprise peuvent favoriser ces usages. Dans ce contexte, il est indispensable d’inscrire le risque addictif dans les démarches de prévention des entreprises et d’impliquer l’ensemble des acteurs pour élaborer des mesures de prévention collective et individuelle.

Les compétences psychosociales (CPS) apparaissent alors comme un levier essentiel : pour prévenir les conduites addictives y compris dans la sphère du travail. Le développement de ces compétences renforce le pouvoir d’agir de chacun et améliore le bien-être global, offrant ainsi un bouclier face aux tentations en entreprise.

Définition et mise en œuvre des compétences psychosociales en entreprise

Selon l’Organisation mondiale de la Santé et les référentiels français récents, les compétences psychosociales sont un « ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales) » qui permettent d’agir sur son bien-être et d’interagir positivement avec les autres. Une classification actualisée identifie 9 compétences psychosociales générales (regroupées en trois catégories cognitives, émotionnelles et sociales) et 21 compétences spécifiques.

Ces 9 compétences sont les suivantes :

Compétences cognitives :

Avoir conscience de soi

c’est-à-dire reconnaître et comprendre ses pensées, émotions, besoins et leurs liens avec nos comportements.

Être dans la maîtrise de soi

c’est-à-dire contrôler ses impulsions et ajuster son comportement en fonction des objectifs.

Prendre des décisions constructives

c’est-à-dire identifier et choisir des objectifs et solutions adaptés à soi et aux autres.

Compétences émotionnelles :

Avoir conscience

de ses émotions et de son stress c’est-à-dire reconnaître et comprendre ce que l’on ressent.

Pouvoir réguler

ses émotions c’est-à-dire accepter son équilibre émotionnel en modulant l’expression de ses émotions.

Savoir gérer

son stress c’est-à-dire réguler ses réactions psychocorporelles pour ne pas être submergé.

Compétences relationnelles :

Communiquer

de façon constructive en adoptant verbalement et non-verbalement un comportement adapté pour interagir dans toutes situations.

Développer des relations

relations constructives en agissant pour établir et maintenir des liens sociaux sains.

Résoudre des difficultés

en étant en capacité si besoin de rechercher de l’aide pour résoudre les problèmes relationnels de la vie quotidienne.
Chaque grande compétence recouvre plusieurs sous-compétences spécifiques. Par exemple, la conscience de soi inclut la capacité d’introspection et de remise en question, la maîtrise de soi englobe le contrôle de ses impulsions et la persévérance, et communiquer implique l’écoute active et l’expression claire de ses besoins, etc. Ces exemples sont importants dans le cadre de la prévention de conduites addictives alors que les personnes concernées sont dans un usage excessif voire une dépendance naissante mais ont encore la capacité de contrôle.
Dans l’entreprise, ces aptitudes peuvent être mises en œuvre à travers des formations dédiées, des pratiques managériales et une culture de bienveillance. Par exemple, pour développer la maîtrise de soi et la gestion du stress, nous proposons des ateliers de mise en pratique ou de rapides formations à la communication non violente prenant en compte les besoins peu assouvis sources d’expression parfois forte de nos émotions mais aussi des groupes de parole et avec nos partenaires des formations internes à la résilience professionnelle afin de constituer sur la base du volontariat des équipes capables de créer un climat propice au développement de la performance collective.

La validation de l’acquisition de ces compétences au travail repose sur plusieurs outils. Des observations terrain sur la base de grilles avec des attendus peuvent permettre aux managers d’évaluer le comportement en situation. Des questionnaires psychométriques ou d’auto-évaluation (des grilles d’auto-bilan des CPS sont disponibles via Santé Publique France) permettent à chaque salarié de mesurer ses progrès. On peut aussi recourir à des bilans 360° en entreprise : retours d’équipe, revue par les pairs, ou entretiens annuels centrés sur ces compétences. Enfin, certaines entreprises mettent en place des indicateurs comme le taux d’incident, le taux d’accidents ou de conflits, le niveau de cohésion d’équipe pour suivre indirectement l’impact des actions de renforcement des CPS. L’évaluation régulière combinant ces approches assure que l’investissement en formation est efficace et adapté aux besoins du personnel.

Effets de l’addiction sur les compétences psychosociales

Les conduites addictives altèrent directement le fonctionnement cérébral et psychologique, au détriment des compétences psychosociales.

Les données scientifiques montrent ainsi que la consommation d’alcool, de cannabis ou de cocaïne dégrade principalement les capacités décisionnelles, cognitives et émotionnelles essentielles au travail.

Alcool

L’alcool perturbe les régions cérébrales impliquées dans le jugement, la mémoire et le contrôle des émotions. Déjà à faible dose, il diminue l’attention et le discernement, rendant difficile le respect des consignes de sécurité. À long terme, l’abus d’alcool provoque des « trous noirs » et des atteintes neuronales permanentes. Concrètement, la consommation régulière d’alcool affaiblit la prise de décision constructive (le jugement est altéré) et la maîtrise de soi (plus grande impulsivité). Les buveurs excessifs éprouvent des difficultés accrues à anticiper les conséquences de leurs actes ou à gérer leur temps, et peuvent devenir moins réceptifs aux signaux émotionnels des autres, ce qui perturbe la communication constructive.

Cannabis

Une étude canadienne parue en juin dernier (https://www.inspq.qc.ca/publications/3675) rapporte qu’un usage de cannabis induit des troubles cognitifs aigus : La mémoire, l’attention, la concentration et la vigilance sont diminuées. À court terme, un salarié sous cannabis présente des confusions spatio-temporelles et de la désorientation l’empêchant de rester pleinement efficace. À long terme, la consommation répétée entraîne souvent une baisse du niveau d’énergie et de motivation, altérant l’estime de soi et l’initiative, et rendant la régulation des émotions plus fragile. Ainsi, le cannabis détériore surtout la conscience de soi et la gestion du stress (par une diminution des ressources mentales disponibles), mais aussi la relation aux autres (par un isolement social et des difficultés de concentration lors des échanges).

addiction cocaïne - usage de drogue au travail - prévention des conduites addictives

Cocaïne

À l’inverse, la cocaïne entraîne une hyper-excitation momentanée suivie d’un « craving » intense. Son usage régulier est associé à des altérations des capacités exécutives et émotionnelles. Des études montrent que les usagers chroniques subissent des pertes de matière grise au niveau des zones centrales pour la prise de décision et le contrôle émotionnel. Cliniquement, cela se traduit par une impulsivité marquée et une diminution de la flexibilité cognitive. Concrètement, et malgré qu’il s’en défende, un salarié cocaïnomane aura du mal à refreiner des réponses inappropriées (il peut répondre de manière excessive en réunion), à travailler longuement sur une tâche complexe, et à reconnaître les limites de ses capacités. Les compétences d’émotion régulation et de résolution de difficultés relationnelles sont donc particulièrement atteintes chez les usagers réguliers de cocaïne. Globalement, chaque produit addictif dégrade les ressources personnelles nécessaires à faire face aux exigences du travail : la vigilance, la prise de décision réfléchie et l’équilibre émotionnel.

Particularités liées aux troubles psychiques et neurodéveloppementaux

Les vulnérabilités personnelles modifient les profils de compétences psychosociales chez certains salariés. Les troubles psychiatriques (dépression, bipolarité, schizophrénie, etc.) ou neurodéveloppementaux (TDAH, troubles DYS, autisme) s’accompagnent souvent de particularités en termes de CPS et d’un risque addictif élevé. Par exemple, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est un facteur de vulnérabilité majeur : l’impulsivité, l’inattention et les difficultés de régulation émotionnelle caractéristiques du TDAH favorisent l’usage de substances psychoactives comme automédication. Une étude reprise dans les fiches Addict AIDE indique que plus de 20 % des patients en soins addictologiques présentent un TDAH, avec une survenue plus précoce et plus sévère de l’addiction. De plus, l’association TDAH-addiction cumule des déficits cognitifs (mémoire de travail, inhibition, flexibilité mentale) qui se renforcent mutuellement. Ainsi, ces profils ont particulièrement du mal à mettre en œuvre les compétences d’attention soutenue et de contrôle de soi au quotidien.

Chez les personnes souffrant de troubles de l’humeur (dépression, bipolarité), on note souvent une baisse de l’estime de soi et de l’énergie vitale : Elles peuvent éprouver des difficultés à mobiliser l’autonomie dans la prise de décision ou à garder leur motivation, et peuvent utiliser l’alcool ou d’autres drogues pour « se donner du courage » ou soulager leur mal-être émotionnel. Par ailleurs, certains troubles du neurodéveloppement comme les troubles DYS (dyslexie, dyspraxie, etc.) ou le spectre autistique entraînent un déficit spécifique des compétences sociales (communication non-verbale, compréhension des codes sociaux) et parfois de la confiance en soi. Par exemple, l’autisme est associé à des difficultés dans les interactions sociales et l’empathie, ce qui peut rendre problématique le développement de relations constructives si cette vulnérabilité n’est pas prise en compte.
Il conviendra donc d’adapter à la fois les attendus sur les CPS et la communication autour de ces vulnérabilités qui touchent 1 salarié sur 5 au cours de sa vie. Ce n’est pas parce qu’une vulnérabilité psychique ou un trouble du neuro développement existe que le salarié ne peut pas effectuer des missions dans un cadre collectif de travail. C’est à l’employeur d’adapter le travail au salarié et non l’inverse. Ces aménagements en termes de CPS commencent par prêter attention aux autres c’est-à-dire cesser de raisonner en individuel (Tout le monde est comme moi !) pour privilégier le collectif et la diversité. Pour finir, ces conditions médicales particulières signalent que la prévention en entreprise doit intégrer un accompagnement individualisé : repérer ces facteurs de vulnérabilité (par la médecine du travail ou les ressources humaines), adapter les messages de prévention et proposer des solutions de soutien ciblé (psychologues du travail, aménagements du poste, intervention de pairs aidants formés…).

Enjeux de la maîtrise des compétences psychosociales en prévention

Maîtriser et renforcer les compétences psychosociales des salariés est au cœur de la prévention des conduites addictives au travail.

Plusieurs objectifs clés émergent : un salarié dévalorisé aura plus de difficultés à communiquer efficacement ou à se fixer des objectifs réalistes. Travailler sur l’image positive de soi en valorisant les réussites au travers les « petites victoires » ou en offrant des retours constructifs favorise simultanément la conscience de soi, la maîtrise de soi et les aptitudes relationnelles.

Favoriser l’autonomie et l’empowerment.

Les CPS visent également à donner aux individus  les moyens d’exercer un plus grand contrôle sur leur santé . Dans le cadre professionnel, cela se traduit par l’initiative et la prise de décision responsable. En développant des compétences comme prendre des décisions constructives et gérer son stress, on encourage les salariés à organiser leur travail de manière autonome et à refuser les pressions néfastes comme la consommation d’alcool lors d’événements d’équipe ou l’attitude manipulatrice d’un manager en mal de contrôle sue les membres de son équipe. La formation aux CPS dans doit être structurée sur le long terme, avec des mises en situation concrètes (jeux de rôles, simulations ateliers et groupe de parole) pour ancrer cette autonomie tout en concentrant les efforts sur l’atteinte d’un objectif collectif.

Autres bénéfices pour la santé globale et la performance.

Au-delà de l’estime de soi et de l’autonomie, le développement des CPS poursuit d’autres objectifs de santé et d’efficacité au travail. De nombreuses études montrent que le développement des CPS réduit l’anxiété, la dépression et les comportements à risque (tabac, alcool, violence) tout en améliorant l’engagement, la réussite et le climat social. En pratique, un collectif de salariés formé aux CPS communique mieux, gère plus efficacement les conflits et résiste à la pression du groupe. Pour la prévention des addictions, cela signifie une réduction des facteurs de risque professionnels (harcèlement, surcharge) et personnels (sentiment d’incompétence) en amont. La maîtrise des CPS devient ainsi un investissement durable : elle améliore le bien-être psychologique, anticipe les risques psychosociaux et prévient les dépenses associées (arrêts maladie, turnover).

Ressources et actions pour développer les CPS en entreprise

Plusieurs ressources et outils sont disponibles pour aider les entreprises à développer ces compétences. La législation et les politiques publiques offrent un cadre de promotion des CPS en milieu professionnel : le décret du 19 août 2022, ainsi que l’instruction interministérielle associée, encouragent les programmes de formation structurés sur le long terme Les entreprises sont invitées à évaluer les compétences psychosociales actuelles de leurs salariés (par exemple via des enquêtes internes) et à mettre en place des plans de développement personnalisé. Dans la pratique, le principal obstacle est probablement dans les croyances personnelles et collectives qui laissent penser que « chez nous, il n’y a pas de problème » Après tout le dépendant est certainement l’un des rare malade à constamment rassurer son médecin en lui disant que tout va bien…

Pourtant un exercice d’analyse de pratiques managériales en petit groupe, un recueil anonyme autour des conditions de travail ou une « enquête QVCT » interne montre rapidement qu’il existe un potentiel d’amélioration du « Travailler Ensemble » Le travail de certains de mes confrères et consœurs coachs professionnels depuis des années et travaillant en entreprise permet d’obtenir une image des forces et points de progrès pour chaque entreprise.

Conclusion

La prévention des conduites addictives au travail ne peut se limiter à des consignes strictes ou à de simples campagnes d’information. Comme le soulignent les experts, le renforcement des compétences psychosociales est une stratégie à long terme, fondée sur la recherche, pour donner à chaque salarié le pouvoir d’agir et de faire des choix santé. Maîtriser ces compétences, en particulier l’estime de soi, la régulation du stress et des émotions, la communication et la prise de décision, protège non seulement la santé individuelle, mais favorise aussi un climat de travail positif, réduisant significativement l’apparition des comportements à risque.

L’enjeu est ainsi de déployer les outils qui sont à la disposition des entreprises pour améliorer les CPS de leurs collaborateurs : La formation continue (ateliers réguliers, coaching), l’aménagement organisationnel (valoriser l’autonomie, favoriser le soutien entre collègues), et l’évaluation continue (feedback, auto-évaluation, indicateurs de climat social) Ces formations et méthodes doivent être vus comme des outils transverses impliquant tous les acteurs (direction, encadrement, services RH et santé), afin que chaque employé puisse cultiver sa résilience et son autonomie. En fin de compte, le succès de la prévention des addictions au travail passera par l’intégration systématique des CPS comme socle d’une culture d’entreprise bienveillante et responsable. L’entreprise aura en retour trois bénéfices nets : Une baisse de l’absentéisme du aux consommations chroniques, un cout moins important en termes d’arrêt de travail et de maladie professionnelle et enfin une plus grande cohésion dans les équipes avec de meilleurs performances observables au travers les KPI mis en place.

Nous abordons cette thématique avec la rigueur issue de nos expériences personnelles ce qui renforce nos actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement.

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